«Leur naissance, une histoire “pour de vrai”», Pomme d'Api n° 640, juin 2019. Texte : Joséphine Lebard. Illustrations : Kei Lam.

Comment raconter à votre enfant l’histoire de sa naissance ?

Arrivée d’un frère ou d’une sœur, questions sur la “fabrication” des bébés, ou envie d’en savoir plus, tout simplement… : les petits sont souvent curieux de l’histoire de leur naissance. La rédaction du magazine Pomme d’Api a interrogé des spécialistes pour vous accompagner dans le récit de ce moment si précieux du roman familial.

“C’était une nuit de grand vent. Par la fenêtre de la salle d’accouchement, on regardait les branches se balancer en attendant ta venue.” Cette histoire, Juliette et Thibault, les parents de Simon, 5 ans, la débutent toujours de la même façon. À chaque fois, le petit garçon l’écoute avec ravissement. Et pour cause : cette histoire, c’est celle de sa naissance. “Il nous demande très régulièrement de lui dire comment cela s’est passé. On feuillette les albums de photos, on ressort le faire-part”, raconte Juliette. Au-delà de la seule évocation d’un souvenir, relater à un petit l’histoire de sa naissance est essentiel. C’est en effet souvent entre 3 et 6 ans qu’un enfant commence à s’interroger sur la façon dont on fait les bébés. Et donc aussi sur sa venue au monde… Tout un programme ! “L’enfant est avide de ce récit car il a besoin de vérifier qu’il est né et qu’il est aimable”, résume Sylvie Prager-Séchaud, psychopraticienne et auteure de Les mémoires de naissance (éditions Dangles).

«Leur naissance, une histoire “pour de vrai”», Pomme d'Api n° 640, juin 2019. Texte : Joséphine Lebard. Illustrations : Kei Lam.

L’inscrire dans l’histoire familiale

L’enfant a besoin de “vérifier qu’il est né”, car raconter sa naissance à son enfant, c’est le mettre en contact avec des souvenirs que – consciemment du moins – il n’a pas. Mais c’est aussi l’inscrire dans l’histoire familiale. “La naissance, c’est le moment où on donne un nom, rappelle Myriam Ott, psychologue clinicienne. C’est le début du sentiment d’appartenance à une lignée, avec toutes ces personnes qui sont venues lui rendre visite : les grands-parents, les oncles, les tantes, les amis…”

«Leur naissance, une histoire “pour de vrai”», Pomme d'Api n° 640, juin 2019. Texte : Joséphine Lebard. Illustrations : Kei Lam.

Ilyès, 4 ans, adore regarder les photos où, nourrisson, il passe de bras en bras dans les premières semaines de sa vie. “Une bonne occasion de lui rappeler qui est qui dans la famille”, raconte Inès, sa maman. “Cela permet d’éclairer la lignée et les racines, estime Sylvie Prager-Séchaud. Cela enveloppe l’enfant, comme un berceau autour de lui.”

«Leur naissance, une histoire “pour de vrai”», Pomme d'Api n° 640, juin 2019. Texte : Joséphine Lebard. Illustrations : Kei Lam.

Enfin, l’enfant a besoin de “vérifier qu’il est aimable”, car raconter sa naissance, plusieurs fois, à sa demande, n’est rien d’autre qu’une preuve d’amour qu’on donne à son petit… notamment quand il a besoin d’être rassuré à ce sujet. “Cela rejaillit à plusieurs moments de la vie, confirme Myriam Ott. Par exemple, quand un petit frère ou une petite sœur s’annonce. Le fait qu’il ait lui-même été bébé échappe à l’aîné. Dans cette demande de récit, il y a le besoin de se sentir important, aimé.” Pour la psychologue clinicienne Brigitte Borsoni, coauteure de Des femmes, des bébés… et des psys (Érès), “raconter à l’aîné qu’on a aussi pris soin de lui quand il est né permet de faire baisser le niveau de rivalité qui peut se profiler à l’arrivée du deuxième enfant”.

Raconter… ce qui le concerne

Raconter la naissance, d’accord, mais raconter quoi ? “L’essentiel est de parler vrai, estime Brigitte Borsoni. Il n’est pas nécessaire de faire un faux récit parfaitement idyllique. Mais il n’est pas indispensable – si les choses ne se sont pas très bien passées – de dramatiser. L’enfant a besoin de savoir ce qui le concerne et seulement cela. Il a besoin de connaître des choses qui vont l’aider à grandir.” Pour Myriam Ott, l’important est de raconter “la rencontre, les premiers regards, le choix du prénom, combien il pesait… Autant de choses qui donnent de la valeur au moment”. Si l’accouchement a été un moment compliqué (lire plus bas “Que dire quand cela s’est moins bien passé ?”), rien n’interdit de prendre le temps, et de dire à l’enfant : “Je vais réfléchir et nous en reparlerons bientôt, c’est promis.”

“Et toi ?”

Dans ce récit, il convient de laisser une place à l’enfant. “On ne va pas tout dire en une fois, tempère Brigitte Borsoni. Il faut laisser la porte ouverte aux questionnements.” Et, pour Sylvie Prager-Séchaud, il est important de rendre l’enfant acteur de sa naissance. La psychopraticienne propose ainsi de lui demander : “Et toi, qu’est-ce que tu en penses ? D’après toi, c’était comment ?” Évidemment, le petit ne livrera pas un récit circonstancié de sa venue au monde. Mais émergeront peut-être alors des ressentis, des émotions… qu’on pourra revisiter ensemble. Aude a ainsi demandé à ses jumelles comment elles étaient dans son ventre, juste avant qu’elle accouche. L’une des deux a répondu : “Oh nous, c’était bien : on jouait aux cartes et on mangeait des bonbons !”

«Leur naissance, une histoire “pour de vrai”», Pomme d'Api n° 640, juin 2019. Texte : Joséphine Lebard. Illustrations : Kei Lam.

Comment raconter sa naissance à un enfant adopté ?

Dr Pierre Lévy-Soussan, pédopsychiatre, médecin directeur de la Consultation Filiation-Consultation Médico-Psychologique (Cofi-CMP) à Paris, auteur de Destins de l’adoption (Fayard) :
« Raconter sa naissance à un enfant adopté, c’est avant tout lui raconter comment la famille est devenue “famille”, grâce à lui. Lui parler de sa naissance psychique. Il s’agit par là d’évoquer le désir qu’on avait d’un petit, puis la lettre ou le courrier annonçant son arrivée prochaine et enfin la rencontre. Ensuite seulement, les parents peuvent établir le maillage avec la “première” naissance. À ce stade, ce qui intéresse l’enfant, ce n’est pas tant l’informatif que le narratif. Il faut que les parents trouvent les mots par rapport aux origines de l’enfant. Le sujet n’est pas tabou, l’abandon a toujours existé. Il faut dire qu’il existe des parents qui ne veulent pas être parents alors que – et ça tombe bien – d’autres veulent l’être et ne le peuvent pas. Pour raconter cette  naissance originelle, il faut avant tout avoir installé le récit autour de la naissance psychique. Ainsi, l’enfant sera suffisamment solide pour faire face à l’histoire de sa “première” naissance. »

Que dire quand cela s’est moins bien passé ?

«Leur naissance, une histoire “pour de vrai”», Pomme d'Api n° 640, juin 2019. Texte : Joséphine Lebard. Illustrations : Kei Lam.

L’accouchement a été compliqué
Un travail douloureux et interminable, une césarienne en catastrophe, la peur qui prend le pas sur tout le reste… L’accouchement n’a pas toujours la couleur rose bonbon qu’on aimerait qu’il ait… Pour Myriam Ott, “les choses peuvent être dites à partir du moment où nous avons nous-mêmes fait le deuil de la naissance idéale”. Mieux vaut donc avoir digéré l’épisode, se faire aider si on sent que le traumatisme est toujours vivace. Puis insister sur les dimensions positives. Brigitte Borsoni propose d’évoquer la présence de personnes secourables (le personnel médical, le père…), au cours de cet épisode compliqué : “Savoir qu’on peut s’appuyer sur d’autres dans les moments plus difficiles de la vie, c’est important.”

Il est arrivé trop tôt…
Un bébé prématuré, c’est aussi un bouleversement. Pour Brigitte Borsoni, “il ne faut pas raconter l’angoisse. Mais on peut dire la séparation, les allers-retours à la clinique. Dire qu’il y a eu des difficultés pour le bébé comme pour les parents, mais qu’on a fait avec”. Et pourquoi ne pas lire le joli Il n’est jamais trop tôt pour dire je t’aime, d’Angela Portella (Larousse) qui traite ce sujet avec délicatesse ?

«Leur naissance, une histoire “pour de vrai”», Pomme d'Api n° 640, juin 2019. Texte : Joséphine Lebard. Illustrations : Kei Lam.

On a eu des difficultés à assumer notre rôle de parents
Pour certains parents, le coup de foudre avec l’enfant est immédiat. Pour d’autres, la rencontre prend plus de temps. Pour certaines mères (de 10 à 20 % environ), une dépression post-partum peut survenir. D’où un sentiment de culpabilité quand il s’agit de raconter la naissance et les premiers mois, moins idylliques qu’on ne l’aurait voulu. Pour Brigitte Borsoni, “l’enfant doit être sécurisé, il est donc essentiel de rappeler que ce n’est ni de sa faute, ni de celle de ses parents”. Pour Myriam Ott, on peut s’appuyer sur la notion d’apprivoisement : “Au début, cela n’a pas été très facile. Un bébé, ça pleure beaucoup et on ne savait pas toujours bien te comprendre. Alors on a cherché ensemble. Et petit à petit, on a appris à se connaître.” Et la psychologue de conclure : “Il faut aussi rappeler que la vie ne s’arrête pas à cet épisode.”

«Leur naissance, une histoire “pour de vrai”», Pomme d'Api n° 640, juin 2019. Texte : Joséphine Lebard. Illustrations : Kei Lam.

Un décès est survenu en même temps que la naissance
Il arrive que la vie et la mort se télescopent au-dessus du berceau. Le décès d’un grand-parent survient dans les semaines entourant la naissance. Dès lors, comment raconter une naissance où la joie et la tristesse ont cohabité ? “Les sentiments ne font pas peur à l’enfant, estime Myriam Ott. C’est l’angoisse qui l’effraie. On peut donc expliquer à un petit que, parfois, des sentiments contradictoires surviennent.” Mais il convient de conserver au petit sa place d’enfant. Lui dire : “Je vais bien grâce à toi” ou “Tu as été la seule chose qui m’a fait tenir à ce moment-là” met un poids colossal sur ses épaules. “Mais s’il nous a aidés à nous tourner vers la vie, on peut l’exprimer, estime Brigitte Borsoni. Il faut surtout insister sur le fait que, si nous avons été tristes, ce n’était pas à cause de lui. Et revisiter les beaux moments de cette rencontre parents-enfant.” 

«Leur naissance, une histoire “pour de vrai”», Pomme d’Api n° 640, juin 2019. Texte : Joséphine Lebard. Illustrations : Kei Lam.
Couverture du magazine Pomme d'Api n°640, juin 2019, et son supplément pour les parents.
 

Abonnez votre enfant à Pomme d’Api