Pour démarrer l’année et s’émerveiller encore et toujours de la richesse de nos enfants, nous avons souhaité nous laisser guider par la psychologue Sevim Riedinger. Elle a écrit – il y a 3 ans – Le monde secret de l’enfant, un livre qui nous a beaucoup touchés. L’auteur nous raconte comment nos enfants nous (ré-)ouvrent une porte vers la dimension sacrée de l’existence.
En quoi l’enfant a-t-il été votre “maître”, comme vous l’écrivez ?
Sevim Riedinger : “Les enfants m’ont appris que la vie, c’est surtout ce que l’on en fait. Leur capacité à s’émerveiller et s’étonner du monde qui les entoure a ravivé en moi, à ma grande surprise, cette part restée longtemps dans l’ombre, aux confins de ma propre enfance : l’expérience intime de me sentir reliée au mystère du monde. Regardez un enfant devant un arbre, un ciel étoilé, un lever du soleil, ou devant un simple escargot… Il s’émerveille : quelque chose le dépasse et il le sent à l’intérieur de lui. J’y lis sa capacité spontanée à s’ouvrir à la dimension sacrée de l’existence. J’utilise le terme “sacré” sans y mettre forcément une connotation religieuse : pour moi, la spiritualité, c’est l’étonnement devant ce qui est. Le sacré, c’est une expérience émotionnelle, sensitive, qui ne se prouve pas mais s’éprouve dans l’intimité de chacun. Et l’enfant fait spontanément cette expérience, mais on n’y prête pas assez attention.”
Avons-nous perdu notre capacité à nous émerveiller ?
“Nous avons tous cette capacité, mais elle est enfouie, recouverte. Dès que le développement de nos facultés intellectuelles se met en marche, aux alentours de six ans, on commence à perdre cette intuition d’être profondément reliés à quelque chose qui nous dépasse. Un petit me disait d’ailleurs avec une conscience extraordinaire : “J’ai perdu ma poussière d’or”. Mais l’enfant peut nous servir de guide pour renouer avec ça. Il suffit de l’accompagner, de respecter son regard sur le monde. Combien de fois l’enfant pointe du doigt une fleur, un nuage… et on passe à côté. Faisant cela, on l’habitue à passer à côté. Mais si l’on s’arrête quelques instants à côté de l’enfant, il devient notre maître, il nous ouvre à ce qui est en nous, il réintroduit cette dimension essentielle dans notre vie. Allez dans un parc, tenez-vous au pied d’un arbre avec un enfant. C’est extraordinaire. Il est là, émerveillé. Il s’émerveille devant ce qui le dépasse, devant le mystère de la vie.”
Garder ou retrouver une âme d’enfant, c’est possible ?
“Oui ! Notre enfant intérieur, c’est la partie la plus sensible de nous-mêmes, celle qui est justement ouverte au mystère de la vie. Elle est enfouie, mais elle est là. Je pense qu’il y a en chacun de nous un espace intact qui n’a pas été contaminé par les douleurs, les chocs de la vie. Et l’enfant peut nous servir de guide, parce qu’il est directement relié à cette dimension. Et pour l’entretenir chez lui, il faut l’accompagner, sinon cela se ferme en lui. En étant à ses côtés, en suivant son regard sur ce qui l’entoure, on donne à l’enfant la confiance en ce qu’il ressent, on légitime son ressenti.”
En quoi est-ce important d’accompagner cet émerveillement ?
“C’est vital ! S’émerveiller et toucher au sacré de l’existence est vital pour la croissance de l’enfant, pour son développement psychomoteur. Ce lien à l’émerveillement amplifie son élan de vie. Quand cette part-là n’est pas assez nourrie ou respectée, l’enfant court le risque d’être complètement à l’extérieur de lui-même, donc d’être plus atteint par les difficultés de la vie, plus influençable. Il ne sait pas qui il est, il n’est plus ancré en lui.”
Quelles sont les portes d’entrée vers la vie intérieure ?
“Je pense que la poésie, le rêve et l’imaginaire sont un contrepoint magistral face au rationalisme qui veut tout maîtriser. On comble aujourd’hui beaucoup plus les besoins matériels de l’enfant que ses besoins de spiritualité : il a besoin de poser des questions essentielles, d’explorer son imaginaire, de rêver, de jouer. Il est primordial de redonner de l’importance à l’imagination, qui est vitale pour la construction de la pensée. Aujourd’hui, l’enfant reçoit en boucle des images toutes faites. Mais pour nourrir son imaginaire, ce n’est pas de ces images-là dont il a besoin. Il a besoin de paraboles, de récits, de mythes… Il faut aussi laisser jouer librement les enfants. À la maîtresse, au papa et à la maman, aux figurines… L’enfant a besoin de rejouer sa réalité pour pouvoir en devenir acteur : la petite poupée va elle aussi être gardée par la baby-sitter, le Playmobil se disputera avec un copain ou sera repris par la maîtresse. Mais pour que ces jeux éclosent, il faut à l’enfant de l’espace et du temps, ne serait-ce qu’une demi-heure par jour. Il peut alors savourer en toute liberté son espace à lui, hors des contraintes. Même s’il s’ennuie ! L’ennui à petites doses le pousse à la créativité et l’ouvre à sa vie intérieure.”
Qu’est-ce qui nous éloigne de notre monde secret ?
“La chose qui nous est le plus difficile aujourd’hui, c’est d’être attentif au moment présent, de vivre dans l’ici et le maintenant. En grec ancien, il y a deux mots pour dire le temps : “chronos” et “kairos”. “Chronos”, c’est le temps qui défile, le temps qui nous dévore. Et “kairos”, c’est le temps que l’on prend pour devenir soi, pour être vivant, c’est le temps de l’essentiel. Je crois qu’il nous manque cela : on n’a pas le temps et on n’est plus à l’écoute de nous-mêmes. L’enfant, par sa présence, ses questions, son regard, est un rappel.
Une maman me confiait : “Je ne suis jamais là où il faudrait que je sois !” Oui, la tête pleine de ce qu’il y a à faire, nous sommes projetés dans ce qui va se passer après ou ce qu’il s’est passé avant, mais pas dans l’instant présent. Nous entraînons l’enfant dans cette course permanente et dans un tourbillon de sollicitations : les écrans, les informations ultrarapides, l’emploi du temps, les activités… Courir par ci, courir par là, il a la tête qui tourne ! Il n’y a qu’à voir la recrudescence des troubles de la concentration et de l’attention. Entendons-nous bien : on n’a pas besoin d’être toujours à l’écoute de nos enfants. Quelques minutes par jour de pleine disponibilité, ça lui suffit. Quelques minutes où on est vraiment là où la vie nous pose, avec l’enfant, c’est essentiel. S’arrêter sur lui, sans laisser fuir notre regard sur le téléphone portable ou dans nos pensées, car alors, l’enfant ne se sent plus exister. Il faut au contraire essayer, même si c’est difficile, d’arrêter l’agitation en nous et de lui donner vraiment de notre temps. Plus rien ne se passe alors que ce lien avec l’enfant et avec le moment présent, ce sont des moments d’éternité.”
Comment prendre soin de la vie intérieure de l’enfant… et de la nôtre par ricochet ?
Cela nécessite un peu d’exercice, mais on peut procéder par petites touches, quelques instants par jour.
– Faire silence : je propose souvent aux parents de faire quelques minutes de silence avec leurs enfants. Au début, les enfants rient et s’écrient : “Il ne se passe rien dans le silence !” Puis ils se taisent. On peut ensuite leur demander : “Qu’est-ce qui est venu en toi lorsque tu as fait silence ?” Ils aiment ça, et leurs parents aussi !
– Être simplement là : il est bon aussi de prendre le temps de ne rien faire, de rêver, y compris ensemble.
– Réintroduire des rituels : les enfants s’assoient en cercle, avec une petite bougie au milieu. Le silence se fait. Puis un petit bâton circule et celui qui prend le bâton a droit à la parole. Avec des petits, moins de 10 minutes suffisent.
– Lire la mythologie : je conseille beaucoup de lire les grands mythes, qui sont d’une poésie extraordinaire. La mythologie grecque, les grands récits de l’Ancien Testament… c’est magnifique. Ils introduisent l’enfant à une autre réalité, une réalité fantasmée, et cela le place dans l’ordre cosmique universel. Il en existe des versions bien adaptées aux petits lecteurs…
La sélection de la rédaction
• Raconte-moi la Bible, de Martine Laffon, livre avec 2 CD audio lus par Jacques Gamblin, éditions Bayard Jeunesse.
• Les Belles Histoires de la Bible, de Marie-Hélène Delval et Ulises Wensell, Bayard Jeunesse.
• Le feuilleton d’Hermès, la mythologie grecque en 100 épisodes, de Murielle Szac, Bayard Jeunesse.