Manger de tout, c’est important. Mais ce n’est pas inné ! Au contraire, la méfiance que manifestent les enfants face à des aliments inconnus est naturelle. À nous d’élargir leurs goûts, sans pour autant se mettre la pression en cuisine.
Toujours des pâtes…
Élodie n’en revient pas. Il y a quelques mois, son petit Simon tendait avidement ses mains vers tout ce qu’elle déposait dans son assiette – “Même du roquefort et des olives dénoyautées !”. Mais voilà qu’aujourd’hui, à 2 ans et demi, il détourne la tête quand arrivent des aliments qu’il aimait tant auparavant… Entre le steak haché préparé pour Alicia, 5 ans, et la cervelle servie aux grandes personnes, Alicia a choisi… la cervelle, à la stupéfaction des adultes. « Mais si on lui demande ce qu’elle aimerait manger, raconte Jennifer, sa mère, elle répond toujours “des pâtes”, même quand on lui propose le McDo ! »
Deux exemples parmi d’autres qui montrent que les parents ont souvent du mal à suivre leurs enfants en matière de goûts. Deux exemples qui illustrent en fait le développement normal de l’être humain ! Car aux alentours de 2 ans, comme Simon, l’enfant découvre tout juste son individualité : “Alors qu’il ouvrait la bouche par mimétisme, sans se distinguer de ses parents, explique la nutritionniste Marie-Claire Thareau-Dupire, auteure de Mon enfant mange de tout (Leduc.s Éditions), il s’affirme désormais comme une personne, et revient aux saveurs sucrées, liquides, et aux odeurs maternelles. C’est un mouvement naturel, plus ou moins prononcé.” À l’âge Pomme d’Api, il est donc normal de bouder son assiette.
Élargir le répertoire alimentaire : facile à dire !
L’être humain est programmé pour se méfier de toute nouveauté et se rabattre sur les choses connues : les pâtes d’Alicia. Manger, pensons-y, c’est introduire en soi un corps étranger. Cette méfiance contredit une nécessité physiologique : pour bien fonctionner, le corps humain a besoin d’une variété de nutriments très large. L’enjeu éducatif est donc bel et bien d’élargir le répertoire alimentaire… Facile à dire !
Pour mettre de la variété dans les assiettes de nos bambins, faut-il opter pour la version autoritaire (“Si tu ne finis pas ton assiette, tu seras privé de dessert !”) ou pour la version laisser faire (“Des pâtes et des bonbons ? OK !”) ? Les deux font courir des risques à l’enfant : la première peut dérégler sa relation à l’alimentation, la seconde risque de ne pas ouvrir suffisamment son éventail nutritionnel et d’aller au-devant d’autres problèmes : “Mes voisins ont des enfants du même âge que les miens, explique Luc, mais rien de ce que nous mangeons ne leur convient, ni les goûters, ni le pain, ni le jus de fruits… Du coup, je ne les invite plus pour les repas.”
“On ne veut pas que le repas soit un moment de disputes”
Or, le repas, c’est ce qu’on partage, c’est ce qui nous ouvre aux autres et au monde… Dommage ! Bref, mieux vaut trouver un juste milieu. Jennifer et Gabriel, les parents d’Alicia, se sont donné une ligne de conduite : “On a toujours demandé à notre fille de goûter à tout, mais sans la forcer à finir. Et on lui laisse le temps pour manger, on ne veut pas que le repas soit un moment de disputes.” Sylvie Delaroche-Houot est cofondatrice de l’Association nationale pour l’éducation au goût des jeunes. Elle approuve cette attitude. “Face à une assiette, il s’agit de mettre en confiance et de permettre de goûter. On n’a pas à obtenir qu’ils aiment.”
Bon à savoir : il faut être exposé 7 à 10 fois à un nouvel aliment pour se faire à son goût. Autant dire qu’il est inutile de tirer des conclusions hâtives : les blettes ont été repoussées ? Patience… On en cuisinera à nouveau dans une semaine. Courgette = beeerk ? On retente notre chance en changeant de recette, de texture (mixée, râpée, en morceaux, cuite, crue…), en la mélangeant avec un aliment apprécié (fromage, pomme de terre…). Et c’est un cercle vertueux : “Plus un enfant vivra des expériences gustatives riches, observe Marie-Claire Thareau-Dupire, plus il sera apte à apprécier de nouveaux goûts et osera goûter des choses inconnues.”
Jouer avec la nourriture ?
Oublions donc nos arguments rationnels du type “C’est bon pour la santé !” ou “Il faut absolument des protéines”. Ce n’est pas par l’intellect que l’enfant aborde la nourriture, mais par les sens. Les grands pédagogues du XXe siècle ont abondamment insisté sur l’importance des sens et du corps pour que le cerveau d’un enfant puisse acquérir un nouvel apprentissage. Concrètement, avec la nourriture, cela signifie : laisser l’enfant toucher le nouvel aliment, le sentir, le manipuler, en l’impliquant dans les gestes de la cuisine.
Sylvie Delaroche-Houot insiste sur l’importance de verbaliser cette expérience : “Tu coupes, et moi j’épluche. Touche, c’est mouillé, doux, sucré…” etc. Cela permet à l’enfant d’ancrer ses découvertes, et d’acquérir un vocabulaire pour décrire ce qu’il perçoit et dépasser le “j’aime / j’aime pas”. L’adulte pourra être à l’affût de ces indicateurs : “Il préfère les choses crues, il n’aime pas l’huile”, etc. Manger ensemble et parler de ce qu’on mange contribue également à l’éducation du goût. Paul, 3 ans, a fini par expliquer qu’il n’aimait pas les poireaux “à cause des fils”. Sa mamie a préparé un potage de poireaux – mixé – qui lui a beaucoup plu !
Miser sur le pratique…
En famille, à l’école, chez la nounou, chez les amis, l’apprentissage se fait dans toutes les sphères où vit l’enfant. Certes, les parents qui aiment faire la cuisine ont un gros avantage. Mais soyons honnêtes, c’est quand même la course et ça revient (trop) souvent ! Autant miser sur le pratique : cuisiner des choses simples, en quantité pour deux ou trois jours, laisser à l’enfant le soin de s’approprier son plat (ajout de crème, de fromage, de pain…).
Si c’est difficile à tenir au quotidien, on peut définir quelques repas qui seront faits maison, avec des produits frais, en parler ensemble, aller avec l’enfant au marché, etc. Et si certains soirs, on ouvre une boîte de raviolis, et alors ? Sylvie Delaroche-Houot rassure : “Il y a des soirs où mieux vaut une boîte de conserve servie sans culpabilité qu’un repas parfait, répondant à toutes les injonctions alimentaires actuelles, mais servi par des parents stressés, agacés, sans enthousiasme.”
… et l’apéritif !
Enfin, petit tuyau pour inciter sans en avoir l’air nos enfants à goûter des choses inconnues : l’apéritif ! Oui, oui, vous avez bien lu, et c’est un conseil d’une nutritionniste, Marie-Claire Thareau-Dupire. En choisissant de se passer des grands classiques (chips, saucisson…) pour privilégier les mélanges de textures, les alternances de cru et de cuit (bâtonnets de légumes frais, canapés aux rillettes de sardine, rondelles de radis tartinées, carrés de fromage, etc.) : “C’est un moment sans pression, où les enfants circulent librement. Entraînés par d’autres, ils vont goûter des choses inhabituelles chez eux, sans sentir l’attente des parents.” L’important, finalement, est de se faire confiance : si l’enfant n’aime pas, ce n’est pas que vous êtes un mauvais cuisinier, ni que vous êtes un mauvais parent. Dites simplement : “Tu n’aimes pas ? Ce n’est pas grave. Tu as tes plats préférés et moi les miens. Mon rôle à moi, c’est que plus tard, tu aimes le maximum de choses.” Quand nos enfants seront grands, peut-être feront-ils goûter à leurs propres enfants des insectes grillés… Et pas qu’à l’apéro !
Familles végétariennes ou véganes : sujet sensible… et complexe !
Par souci de préserver l’environnement et la condition animale, de plus en plus de familles cherchent à réduire leur consommation de viande. Cela va dans le sens du Programme National Nutrition Santé. Mais certains décident de ne plus manger ni viande ni poisson, voire tout produit d’origine animale (œufs, lait, miel…). Pour un organisme naturellement omnivore et en pleine croissance comme celui d’un enfant, ces régimes sont-ils adaptés ?
La Société française pédiatrique s’alarme des carences qu’une telle alimentation provoque, mais elle l’a fait savoir en 2019 lors d’un congrès sponsorisé entre autres par… la filière laitière française. Le message est brouillé ! En Italie, au Canada, aux États-Unis, les médecins spécialisés préfèrent insister sur l’information et le suivi des familles qui optent pour de tels régimes.
Car pour bien grandir, les enfants ont besoin d’un apport suffisant de protéines, d’acides gras essentiels, de vitamines B12 et D, de fer, de zinc, de calcium. Quels végétaux peuvent apporter cela ? En quelle quantité ? À quelle fréquence ? Faut-il des compléments alimentaires ? C’est technique ! Mieux vaut se tourner vers des professionnels – pédiatre ou nutritionniste – pour que la croissance de l’enfant soit bien accompagnée.
Pour aller plus loin
• Mon enfant mange de tout, de Marie-Claire Thareau-Dupire, Leduc.s Éditions. Ingénieure en agriculture et nutritionniste, l’auteure anime des ateliers d’éveil alimentaire à l’intention des jeunes enfants et des professionnels de la petite enfance.
• Comment donner à son enfant le goût d’une alimentation équilibrée, de Marie-Claire Thareau-Dupire, Leduc.s Éditions. Un guide déculpabilisant pour transmettre à votre enfant le goût pour une alimentation saine.
• Sur le site pommesetsens.org, vous trouverez une vidéo inspirante des ateliers de Marie-Claire Thareau-Dupire, ainsi qu’un livret À table tout le monde !, plein de repères et d’astuces, à télécharger.
• 100 % excellent, 40 nouvelles recettes gourmandes, Bayard Jeunesse. Pour une cuisine en famille, un classique qui dure, qui dure… Ouf, il n’y a pas que du sucré !
“Y a-t-il une recette magique pour que les enfants mangent de tout ?”, supplément pour les parents du magazine Pomme d’Api n°662, avril 2021. Texte : Anne Bideault. Illustrations : Muzo.
