La peur du loup…

Personnage incontournable de la littérature, depuis des siècles, le loup effraie et fascine toujours les petits. Comment les aide-t-il aussi à grandir ? Pomme d’Api a interrogé des spécialistes de l’enfance et Grégoire Solotareff, auteur du célèbre “Loulou”.

Loup, qui es-tu ?

Y a-t-il encore aujourd’hui un enfant qui serait passé entre les mailles du filet du Petit Chaperon rouge, des Trois petits cochons ou, tout simplement, du “jeu du loup” ? Professeure des écoles en maternelle et co-autrice d’un mémoire sur Les représentations du loup dans les littératures de jeunesse, Émilie Alessi le confirme : “Le loup est toujours sur le podium des personnages qui attirent le plus les enfants…” Et cela fait des siècles que cela dure. “En Afrique, on évoque le crocodile, en Occident, c’est le loup”, explique Grégoire Solotareff (lire son interview en fin d’article). Dès l’époque médiévale, le loup pâtit d’une image défavorable. “Il permet d’évoquer la menace que représente l’autre, sans être trop direct”, poursuit l’auteur illustrateur.

“La peur du loup”, supplément pour les parents du magazine Pomme d'Api n°657, novembre 2020. Texte : Joséphine Lebard. Illustration : Marie Assénat.

Et il constitue un formidable moyen pour permettre aux plus petits d’exprimer des peurs qu’ils ont encore du mal à verbaliser. “Il incarne les angoisses de dévoration, explique la psychanalyste Karin Tassin, soit l’idée de mettre quelqu’un dans son ventre pour ne pas le perdre, ou bien, suivant la logique œdipienne, il représente l’attaque envers le parent dont on ne veut pas”

“J’ai peur du loup. Je voudrais le mettre dans une tractopelle”, frissonne ainsi Basile, 4 ans. L’âge auquel, souligne la psychanalyste, le loup apparaît dans les rêves des enfants. Émilie Alessi insiste sur l’ambivalence qui nimbe cette figure récurrente de notre imaginaire. Certes, le loup fait peur, mais il fascine aussi “par son côté mystérieux, parce qu’on n’en croise jamais. Il attire les petits par sa rareté”.

“La peur du loup”, supplément pour les parents du magazine Pomme d'Api n°657, novembre 2020. Texte : Joséphine Lebard. Illustrations : Marie Assénat.

Frissonner, expérimenter… en toute sécurité

En ayant peur du loup, ce n’est pas forcément l’animal en lui-même que le petit redoute, mais bien d’autres choses. La forêt nocturne, la sauvagerie, l’inconnu lui sont directement associés depuis des siècles. Pour Émilie Alessi, il est ainsi intéressant de regarder quels enfants ont peur du loup aujourd’hui. « Ce sont souvent ceux que les parents surprotègent, qui vivent un peu “dans une bulle”. » Et, comme dans tous les récits, la figure du loup permet symboliquement au petit d’expérimenter. D’avoir peur, mais dans un univers sécurisé qui est celui de sa maison, de sa famille. 

“La peur du loup”, supplément pour les parents du magazine Pomme d'Api n°657, novembre 2020. Texte : Joséphine Lebard. Illustration : Marie Assénat.

Le loup autorise aussi l’enfant à rencontrer les parts plus sombres de lui-même. L’animal représente “les tendances asociales, animales qui agissent en nous”, souligne Bruno Bettelheim, dans son fameux Psychanalyse des Contes de fées . Camille, 4 ans, n’exprime pas autre chose quand il rêve tout haut de pouvoir aller avec un loup au Monoprix “parce qu’il mangerait tous les gens. Mais pas moi, parce que je cours trop vite”. Quelle meilleure façon, effectivement, pour un petit garçon, d’échapper à une séance de courses qui s’éternise ?

Et le gentil loup ?

Le grand méchant loup a cependant perdu un peu de sa superbe au cours du XXe siècle. Le changement d’image coïncide avec le moment où, d’espèce redoutée, le loup est devenu un mammifère à protéger. Considéré comme éradiqué en 1937, il a fait son grand retour sur le territoire hexagonal au début des années 1990. Un changement de perspective qui se remarque dans la littérature jeunesse. Ce n’est sans doute pas un hasard si Loulou, le personnage imaginé par Grégoire Solotareff, émerge en 1989. “Le loup, dans les histoires, il me fait rire comme Le loup en slip”, confirme Marceau, 6 ans. Mais, si le loup ne fait plus – ou moins – peur, sa fonction n’est-elle pas dévoyée ? C’est le point de vue de Karin Tassin. “Le loup gentil correspond au fantasme des adultes, estime-t-elle. Il faut garder des images porteuses de l’agressivité, notamment dans les contes qui permettent de mettre la pulsion à distance et de créer la pensée.”

“La peur du loup”, supplément pour les parents du magazine Pomme d'Api n°657, novembre 2020. Texte : Joséphine Lebard. Illustration : Marie Assénat.

Pour Émilie Alessi, ce “détournement” recèle d’autres richesses : “C’est un personnage intéressant pour montrer qu’on peut avoir plusieurs facettes dans sa personnalité.” Dans un article intitulé La place de l’animal dans la psychothérapie de l’enfant, Karin Tassin souligne le fait que la figure du loup est beaucoup moins présente qu’auparavant dans les dessins ou les jeux des petits patients, au bénéfice des dinosaures, des serpents ou des robots. Est-ce à dire que ce bon vieux loup a vécu son temps ? Selon l’institutrice Émilie Alessi, au vu de l’enthousiasme de ses élèves pour la bête, pas du tout : “Dans dix ans, on racontera encore des histoires de loups !”

“Mon enfant a peur du loup”

Laetitia Bluteau, psychologue, nous livre quelques conseils pour désamorcer la peur du loup.

« Quand un petit ressent quelque chose d’effrayant, sans parvenir à le nommer, cet élément va ressurgir sous une autre forme. Une forme somatique – maux de ventre, maux de tête… – ou bien via des figures qui lui font peur, comme celle du loup. Ce n’est pas une frayeur à balayer d’un revers de main. Au contraire, il faut prendre l’enfant au sérieux quand il l’évoque. Le croire quand il en parle, mais sans “surjouer” non plus. Et l’interroger : “Qu’est-ce qu’il a, ce loup ? Qu’est-ce qu’il veut ?” On peut ensuite montrer à l’enfant qu’il a la capacité de maîtriser la situation : en dessinant un loup avec une tête de clown, par exemple. Si la peur résiste – cela peut être le cas lors d’un déménagement, par exemple, d’une entrée à l’école compliquée –, on peut emmener l’enfant chez un professionnel. Normalement, en une ou deux séances, les choses rentrent dans l’ordre. »

“La peur du loup”, supplément pour les parents du magazine Pomme d'Api n°657, novembre 2020. Texte : Joséphine Lebard. Illustration : Marie Assénat.

Pour aller plus loin, des livres… à dévorer

“La peur du loup”, supplément pour les parents du magazine Pomme d'Api n°657, novembre 2020.

  • Le plus mystérieux. Une histoire de loup, de Caroline Pellissier et Mathias Friman, Seuil Jeunesse. Cet album, pour les plus grands, écrit et illustré “à hauteur de loup”, nous embarque dans une étrange promenade sensorielle en forêt. Les illustrations, au trait noir ponctuées par des éclats de couleur, ajoutent du frisson au mystère…
  • Le plus drôle. C’est moi le plus beau, C’est moi le plus fort, de Mario Ramos, l’école des loisirs. C’est un loup un brin narcissique qui aime parader dans la forêt pour interroger ses habitants (notamment des personnages de contes) sur ses mérites. Mais attention, tout le monde n’est pas prêt à hurler avec ce loup-là…
  • Le plus dédramatisant. Tout sur le grand méchant loup, d’Éric Veillé, Actes Sud Junior. Un livre hilarant qui s’inspire du genre documentaire pour évoquer le grand méchant loup (sa vie, son alimentation, ses habitudes…). Pour démystifier l’animal et désamorcer les peurs par le rire.
  • Le plus vintage. Marlaguette, de Marie Colmont, Père Castor. Récit pionnier dans sa façon de réinventer le rapport au loup, il met en scène une petite fille prenant en charge un loup blessé qui l’avait kidnappée. Un récit sur le respect de la nature de chacun, homme ou animal.

Interview de Grégoire Solotareff : “Mon Loulou, c’est un bon gars…”

Auteur et illustrateur, Grégoire Solotareff fait partie de ceux qui ont réinventé la figure du loup dans la littérature jeunesse, notamment avec son personnage de Loulou le Loup. Il a répondu aux questions de Pomme d’Api.

Pourquoi avez-vous décidé de faire du loup un personnage récurrent de votre œuvre ?

Grégoire Solotareff : Parce que c’est un personnage idéal de livres pour enfants ! Il a beaucoup de traits humains comme l’intelligence, la sociabilité… Et puis c’est un animal très romanesque, mythique. Il plane sur lui une forme de mystère, une énigme, liés à la forêt et à la solitude qui lui sont rattachés. Mais quand j’ai commencé à écrire pour les enfants, j’ai voulu traiter de façon détournée cet animal souvent perçu comme une menace.

C’est-à-dire ?

G. S. : À partir du XVIIe siècle, le cliché du loup remplace celui de l’ours. Il incarne l’homme méchant, comme dans les Fables de La Fontaine. Moi, j’ai voulu trouver chez lui, qui a l’air mauvais, des sentiments. Montrer que ce personnage n’est pas forcément ce qu’il a l’air d’être. Loulou, c’est un bon gars, un peu naïf. C’est un gamin, pas un loup adulte. En faisant de mon personnage un enfant, je casse le côté autoritaire et méchant classiquement attribué au loup.

Pour vous, que représente la peur du loup ?

G. S. : C’est la peur de l’inconnu, soit littéralement “celui qu’on ne connaît pas”. Longtemps, l’éducation des enfants s’est forgée sur des histoires de peur. Moins maintenant, certes, mais la menace plane encore sur ce qui est inconnu. Alors que l’inconnu justement, c’est l’aventure !

“Loulou”, de Grégoire Solotareff, l’école des loisirs.

Loulou le Loup et Tom le Lapin sont d’inséparables copains, jusqu’au jour où tous deux jouent à “Peur-du-Loup”… Tom a tellement peur qu’il décide de ne plus revoir son ami. Un livre magnifique sur l’amitié qui permet aussi d’entamer avec son enfant un dialogue sur cette fameuse peur du loup. Loulou, de Grégoire Solotareff, l’école des loisirs.

“La peur du loup”, supplément pour les parents du magazine Pomme d’Api n°657, novembre 2020. Texte : Joséphine Lebard. Illustrations : Marie Assénat.

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