© Illustration : Mirjana Farkas. “Apprendre à regarder, c’est tout un art !”, supplément pour les parents du magazine Pomme d'Api n°672, février 2022.

Comment éveiller le regard de votre enfant ?

Dans une époque qui favorise plutôt la vitesse et l’immédiateté, pourquoi est-ce si important d’apprendre à son enfant à regarder et à observer… en prenant le temps et en partageant ses découvertes. Explications et conseils extraits du supplément pour les parents du magazine Pomme d’Api.

“C’était beau, hein, Papa ?”

Ce souvenir-là, Olivier, papa de Malo, 4 ans, le range parmi les plus précieux de sa collection. C’était un soir, pendant les grandes vacances. Le soleil était en train de descendre sur la mer. Olivier et Malo se sont assis sur la plage et l’ont regardé pendant de longues minutes, sans parler. Au moment de repartir, Malo s’est tourné vers son père : “C’était beau, hein, Papa ?” Ce moment n’a pas duré plus de quelques minutes, “mais on était là, tous les deux, silencieux, juste à partager le plaisir de regarder un beau paysage et c’était très fort”, se remémore Olivier.

Le plaisir de partager la vue d'un beau paysage avec son enfant. Pomme d'Api n°672, février 2022. © Illustration : Mirjana Farkas.

S.O.S. concentration

Apprendre à son enfant à regarder, à saisir la beauté des choses et à prendre le temps de le faire… Ce n’est pas évident, alors que l’époque favorise plutôt la vitesse et l’immédiateté. Il n’est pas toujours simple pour un petit de garder son attention centrée sur un objet, un paysage. Or, justement, pour Marie Robert, philosophe et responsable pédagogique de l’école Montessori Esclaibes (Paris), “se concentrer, c’est la règle n° 1 pour apprendre à regarder. Pour saisir et comprendre un système complexe, qu’il s’agisse d’un livre, d’une émotion, d’un paysage, la concentration est indispensable”. Pour cela, Marie Robert propose aux parents d’expérimenter une activité toute simple. On présente à son enfant un objet (un caillou, un stylo…). Puis on lui pose des questions : “Tu aimes la couleur ?“ “Quelle forme ça a ?” “Tu le mettrais dans ta poche ?” L’idée est ainsi de lui permettre de rester focalisé sur l’objet. Et donc de prendre le temps d’observer, de s’appliquer à voir.

Donner un cadre

Marie Robert insiste sur l’importance de cadrer les activités pour favoriser cet apprentissage du regard. “Ce n’est pas pour rien qu’au musée, les tableaux sont encadrés, rappelle-t-elle. Cela permet de donner un cadre au regard, de le délimiter.” Aussi, quelle que soit l’activité que l’on entreprend avec son enfant, il est important de lui faire comprendre que celle-ci a un début, un milieu, une fin. Et, alors qu’il s’est lancé dans un puzzle, ne pas lui proposer de s’interrompre et de démarrer autre chose.

“C’est aussi comme cela qu’on l’aide à regarder, à prendre le temps”, estime Marie Robert. Elle conseille aussi de ritualiser des petites expériences autour du regard. La jeune femme prend l’exemple d’une élève de son école qui, chaque soir, avec ses parents, regarde la reproduction d’un tableau sur une carte postale ou dans un livre. “Elle a développé une acuité visuelle incroyable, constate Marie Robert. Elle a appris à nuancer les couleurs, à observer les détails…” Une activité comme celle-ci peut se faire avec des supports très différents : un beau livre d’images grand ouvert sur une table, un coin de jardin, la vue depuis la fenêtre…

Éloge de la lenteur

Si nous pouvons apprendre à nos enfants à regarder, nous pouvons aussi apprendre… en les regardant regarder. “Adultes, nous avons tendance à oublier de contempler, note Joséphine Barbereau, fondatrice de Little io, des ateliers culturels pour les enfants. Accompagner nos petits dans cette démarche nous incite, nous aussi, à mieux voir.” Comme le note Marie Robert, “rien n’est beau dans l’hyper-vitesse. La contemplation, c’est long, cela nous oblige à accepter la lenteur. On ne peut ni comprendre ni s’émouvoir dans la rapidité.” D’où l’importance souligne-t-elle, de ne pas surcharger nos enfants d’activités et de leur ménager des moments où ils peuvent être dans le silence, dans la patience… et nous aussi ! Quel parent ne s’est pas un jour agacé parce que, sur le chemin des courses, son petit restait trop longtemps – selon nos critères d’adultes – perdu dans la contemplation d’une coccinelle sur le trottoir. Nous gagnerions à prendre exemple sur eux en nous arrêtant dans la contemplation de petites beautés quotidiennes.

Pour bien observer, il faut prendre son temps. Pomme d'Api n°672, février 2022. © Illustration : Mirjana Farkas.

Œil de lynx !

Le regard que posent les enfants sur le monde nous ouvre de nouvelles perspectives. Perrine ne dit pas autre chose. Avec Gabin, son fils de 5 ans, elle aime feuilleter les albums de Claude Ponti, qui fourmillent toujours de détails. “Et à chaque fois, ça ne rate pas : Gabin voit le petit poussin caché derrière un arbre ou d’autres éléments de l’illustration qui m’échappent. Du coup, cela le rend très fier d’avoir repéré des choses que les grands n’ont pas remarquées !”

Reconnaître le beau

Lors d’un atelier philo autour du beau qu’elle animait avec des élèves de maternelle, Marie Robert demande à chaque enfant de choisir, dans la classe, un objet qu’il trouve beau. Une petite fille revient, munie d’un… trombone. “Je ne suis pas sûre qu’elle sache à quoi cela servait. Mais pour elle, cet objet brillant était beau, c’était un trésor incroyable. Du coup, pour nous, adultes, ce trombone devenait poétique aussi…”

Se mettre à la hauteur de notre enfant

Quand notre enfant regarde quelque chose, Joséphine Barbereau incite à se mettre à sa hauteur pour percevoir les mêmes choses que lui. Cela permet de créer une proximité physique, d’avoir le sentiment d’être ensemble mais aussi de contempler les choses de son point de vue. Pour elle, “cette capacité à regarder, et à regarder nos enfants le faire, est un magnifique partage. D’autant que, si on ne regarde pas l’autre, comment savoir s’il va bien ? s’il est triste ?” Joséphine Barbereau nous explique que regarder, ce n’est pas seulement regarder un paysage mais aussi l’autre, son visage, ses expressions et donc, favoriser l’apprentissage de l’empathie.

Se mettre à hauteur d'enfant pour contempler le monde de son point de vue. Pomme d'Api n°672, février 2022. © Illustration : Mirjana Farkas.

Prendre le temps de regarder, c’est aussi permettre à l’enfant de partir à la rencontre de ses propres émotions. Philosophe, Marie Robert convoque à ce sujet Henri Bergson. “Bergson fait la différence entre le temps et la durée, explique-t-elle. Le temps, c’est le temps des montres. La durée, c’est le temps intime. Or le regard se coule sur cette durée. Car quand on contemple attentivement quelque chose, on perd la notion du temps. Le regard se pare d’une durée intime. Et c’est là, nous dit Bergson, que se joue la création de soi.” Accompagner son enfant dans son apprentissage du regard, c’est aussi l’autoriser à grandir. “Cela nous pousse à accepter qu’il puisse ne pas voir les mêmes choses que nous”, analyse Joséphine Barbereau. Ce qui est sûr, c’est que prendre le temps de regarder avec notre enfant nous offre une belle occasion de poser un regard neuf sur le monde.

Trois exercices pour apprendre à observer

Au-delà des traditionnels jeux de différences, memory, et autres “Cherche et Trouve”, voici trois activités qui favorisent l’observation.

1• S’inventer une histoire, en regardant un paysage, les passants dans la rue… “Qui habite là ?” “À quoi pensent les gens ?” “Quelle forme a ce nuage ?” “Si cet arbre pouvait parler, que dirait-il ?” L’essentiel est de jouer, de s’amuser.

2• Jouer au portrait chinois : “Et si ce paysage était un fruit ? Une couleur ? Un objet ?” Ce jeu peut aussi être intéressant à faire à plusieurs afin que l’enfant confronte son regard à celui d’autres enfants.

3• Contempler un paysage en comptant jusqu’à 20, l’enfant ferme ensuite les yeux, puis on lui pose des questions : “De quelle couleur est le toit de la maison en face de nous ?” “Combien y a-t-il de personnes assises sur le banc ?”…

3 exercices pour apprendre à observer et des contenus pour aller plus loin. Pomme d'Api n°672, février 2022. © Illustration : Mirjana Farkas.

Pour aller plus loin

 Rien de mieux que l’art pour aiguiser le regard. Une sélection à lire, à écouter et à partager.

• Un livre. Les saisons dans l’art, d’Elsa Whyte, La Martinière Jeunesse. À travers quarante toiles de grands peintres (Klimt, Hockney, Monet…), le petit lecteur pourra s’immerger dans des œuvres majeures tout en revisitant les quatre saisons. Un bon outil pour mettre en place l’exploration d’un tableau.

• Un podcast. Apprendre à voir, d’Estelle Zhong Mengual, Actes Sud. Dans son nouveau livre, l’historienne de l’art Estelle Zhong Mengual marie le champ de l’art et celui de l’histoire naturelle et nous invite à poser un nouveau regard sur le monde qui nous entoure. Vous pouvez aussi l’écouter exposer son point de vue dans le podcast de l’émission La Suite dans les idées sur France Culture.

Les ateliers Little io. Joséphine Barbereau propose de nombreux ateliers aux enfants de 4 à 13 ans. Au programme, pour les 4-5 ans : la découverte de nombreux personnages (Cléopâtre, Hercule, Le Petit Chaperon rouge…), par le biais de l’art. Des expériences interactives à partager entre parents et enfants. Les ateliers ont lieu à Paris mais Little io propose aussi des kits (à partir de 6 ans) qui comprennent un livre et des contenus interactifs.

Apprendre à regarder, c’est tout un art !”, supplément pour les parents du magazine Pomme d’Api n°672, février 2022. Texte : Anne Bideault. Illustrations : Mirjana Farkas.
Couverture du magazine Pomme d'Api, n°672, février 2022, et son supplément pour les parents : “L'éveil du regard, tout un art”

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